Lemonde法语世界报20220305默克尔时代结束
Lesadieuxtrèspolitiquesd’AngelaMerkel
La chancelière met en scène la transition apaisée avec son successeur socialdémocrate, Olaf Scholz berlin correspondant
Pour son départ de la chancellerie, en 2005, Gerhard Schröder avait choisi My Way, du crooner américain Frank Sinatra. Seize ans plus tard, c’est un tube
de la chanteuse de punk estallemande Nina Hagen qu’Angela
Merkel a fait jouer par l’orchestre
de la Bundeswehr, jeudi 2 dé
cembre, pour la cérémonie
d’adieu qui avait lieu en son
honneur dans la grande cour du
ministère de la défense, à Berlin.
Constitutionnellement, Angela
Merkel est encore chancelière.
Elle ne quittera définitivement
ses fonctions que lorsque son
successeur, Olaf Scholz, sera élu
par les députés du Bundestag. On
connaît désormais la date du
vote : mercredi 8 décembre. L’annonce a été faite, jeudi, quelques
heures avant la cérémonie militaire organisée pour le départ de
celle qui aura dirigé le gouvernement allemand pendant
5 860 jours : neuf de moins
qu’Helmut Kohl (19821998), le
chancelier resté le plus longtemps au pouvoir depuis la naissance de la République fédérale
d’Allemagne, en 1949.
Codifiée sous FrédéricGuillaume III, roi de Prusse de
1797 à 1840, la cérémonie dite du
« Grosser Zapfenstreich » n’a lieu
qu’en de rares occasions : lorsqu’un président de la République, un chancelier, un ministre
de la défense, un général ou un
amiral quitte ses fonctions, ou
pour marquer un événement
exceptionnel, comme la fin de la
mission de la Bundeswehr en
Afghanistan, célébrée le 13 octobre devant le bâtiment du
Reichstag, le siège de la Chambre
des députés.
Malgré son caractère protocolaire, ce cérémonial traditionnellement organisé à la nuit tombée, composé d’une marche aux
flambeaux, d’une prière et de
moments musicaux, permet à
celui qui reçoit les honneurs d’y
mettre sa patte. Ce dont Angela
Merkel ne s’est pas privée,
d’abord lors du bref discours
qu’elle a prononcé à son arrivée,
ensuite à travers les airs qu’elle a
choisis et, enfin, par le petit geste
inattendu qu’elle a fait avant de
quitter le ministère de la défense
dans sa grosse Audi noire.
Appel à regarder l’avenir
Le discours, d’abord. En sept minutes, montre en main, la chancelière n’a guère eu le temps de
revenir en détail sur les seize années « riches en événements et
souvent très éprouvantes » qu’elle
a passées au pouvoir. « Ces seize
années m’ont demandé beaucoup
d’efforts sur le plan politique et humain, et en même temps elles
m’ont comblée », atelle déclaré,
avant d’évoquer plus précisément
les deux dernières, dominées par
la pandémie de Covid19, dont la
quatrième vague est particulièrement violente en Allemagne.
Rappelant qu’elle venait, en dé
but d’aprèsmidi, de présider une
nouvelle réunion avec les chefs
des Länder pour décider de nouvelles restrictions, Angela Merkel
a profité de l’occasion pour tirer
une leçon politique de la crise sanitaire : « Cette pandémie a montré l’importance de la confiance
dans la politique et dans la science,
mais aussi la fragilité de cette
confiance. (…) Notre démocratie
vit de la capacité à débattre, à corriger ses erreurs. (…) Elle vit de la
solidarité et de la confiance, en
particulier de la confiance dans les
faits, et de la contradiction qu’il
convient d’apporter haut et fort
quand les connaissances scientifiques sont niées, que les théories du
complot sont propagées et que les
discours de haine prolifèrent. »
Appelant à regarder l’avenir
sans « dépit, ressentiment [ni] pessimisme », la chancelière s’est ensuite adressée à son successeur,
Olaf Scholz, qui assistait à la
cérémonie au milieu d’environ
200 invités, parmi lesquels figuraient notamment le président
fédéral, FrankWalter Steinmeier,
les plus proches collaborateurs
d’Angela Merkel et la plupart de
ses anciens ministres, à l’exception de quelquesuns, comme
Wolfgang Schäuble.
« Il appartient désormais au prochain gouvernement de trouver
des réponses aux défis qui nous
attendent et de façonner notre
avenir. Pour cela, je vous souhaite,
cher Olaf Scholz, ainsi qu’au gouvernement fédéral que vous allez
diriger, tout le plus grand succès »,
a lancé la chancelière à son successeur, avec qui elle a souvent affiché sa proximité, ces dernières
semaines, pour donner le sentiment d’une transition apaisée : à
la fin d’octobre, en le conviant à
ses rendezvous bilatéraux avec
les présidents américain et turc,
Joe Biden et Recep Tayyip Erdogan, en marge du G20 de Rome ;
le 23 novembre, en l’invitant avec
les principaux dirigeants de sa future coalition « feu tricolore »
pour discuter de la crise sanitaire ; ou encore le 30 novembre,
en se faisant photographier à son
côté avec le général Carsten
Breuer, chargé de piloter la cellule
de crise créée au sein de la chancellerie pour coordonner la lutte
contre le Covid19.
Après ce bref discours, les morceaux de musique choisis par
Angela Merkel, jeudi, avaient eux
aussi quelque chose de testamentaire. Si personne n’a vraiment
été étonné que la fille de pasteur
fasse jouer le cantique Grosser
Gott, wir loben dich (« Dieu, notre
Dieu, nous te louons »), beaucoup, en revanche, ont été surpris
d’entendre Du hast den Farbfilm
Vergessen (« Tu as oublié le film
en couleur »), de Nina Hagen. Un
morceau qu’elle a écouté les yeux
rougis par des larmes dont il était
difficile de dire si elles étaient
provoquées par l’émotion ou par
le vent glacial qui soufflait à Berlin ce jeudi soir.
Interrogée, quelques heures
plus tôt, sur le choix de ce tube
créé en 1974 en République
démocratique allemande (RDA),
la chancelière a répondu : « Cette
chanson a été un moment fort de
ma jeunesse.
(…) Elle vient
également d’Allemagne de l’Est et
il se trouve qu’on la passe encore
dans la région où se trouve mon
ancienne circonscription
[au bord
de la mer Baltique].
Tout cela
s’accorde aujourd’hui »
, atelle
expliqué, en parfaite continuité
avec plusieurs de ses derniers
discours, dans lesquels elle a
souvent fait référence à sa
jeunesse passée derrière le rideau
de fer, ce qui était rarement le cas
auparavant.
Prise de liberté avec le protocole
Après ces deux choix musicaux
aux résonances très intimes,
auxquels s’est ajoutée une ballade de 1968, Für mich soll’s rote
Rosen regnen (« Il devrait pleuvoir des roses rouges pour moi »),
de la chanteuse allemande Hildegard Knef (19251982), la cérémonie, d’une durée totale de trois
quarts d’heure, aurait pu s’achever sans la moindre surprise. A la
dernière minute, cependant,
Angela Merkel a pris une liberté
avec le protocole.
Tandis que ses invités l’applaudissaient, la chancelière a pioché
une fleur dans l’un des gros bouquets de roses rouges qui se trouvaient au pied de la tribune. Puis
elle s’est dirigée vers sa voiture,
avant de rebrousser chemin pour
se saisir d’une autre rose, qu’elle
est allée offrir à sa ministre de la
défense, Annegret KrampKarrenbauer. Cellelà même à qui
elle avait cédé la présidence de
l’Union chrétiennedémocrate
(CDU), en décembre 2018, dans
l’espoir qu’elle lui succède, trois
ans plus tard, à la tête du gouvernement fédéral. Finalement,
l’histoire s’est écrite autrement :
à défaut de lui confier les clés de
la chancellerie, c’est une simple
rose qu’Angela Merkel a laissée à
son ancienne dauphine.
thomas wiederLesadieuxtrèspolitiquesd’AngelaMerkel La chancelière met en scène la transition apaisée avec son successeur socialdémocrate, Olaf Scholz berlin correspondant P our son départ de la chancellerie, en 2005, Gerhard Schröder avait choisi My Way, du crooner américain Frank Sinatra. Seize ans plus tard, c’est un tube de la chanteuse de punk estallemande Nina Hagen qu’Angela Merkel a fait jouer par l’orchestre de la Bundeswehr, jeudi 2 dé cembre, pour la cérémonie d’adieu qui avait lieu en son honneur dans la grande cour du ministère de la défense, à Berlin. Constitutionnellement, Angela Merkel est encore chancelière. Elle ne quittera définitivement ses fonctions que lorsque son successeur, Olaf Scholz, sera élu par les députés du Bundestag. On connaît désormais la date du vote : mercredi 8 décembre. L’annonce a été faite, jeudi, quelques heures avant la cérémonie militaire organisée pour le départ de celle qui aura dirigé le gouvernement allemand pendant 5 860 jours : neuf de moins qu’Helmut Kohl (19821998), le chancelier resté le plus longtemps au pouvoir depuis la naissance de la République fédérale d’Allemagne, en 1949. Codifiée sous FrédéricGuillaume III, roi de Prusse de 1797 à 1840, la cérémonie dite du « Grosser Zapfenstreich » n’a lieu qu’en de rares occasions : lorsqu’un président de la République, un chancelier, un ministre de la défense, un général ou un amiral quitte ses fonctions, ou pour marquer un événement exceptionnel, comme la fin de la mission de la Bundeswehr en Afghanistan, célébrée le 13 octobre devant le bâtiment du Reichstag, le siège de la Chambre des députés. Malgré son caractère protocolaire, ce cérémonial traditionnellement organisé à la nuit tombée, composé d’une marche aux flambeaux, d’une prière et de moments musicaux, permet à celui qui reçoit les honneurs d’y mettre sa patte. Ce dont Angela Merkel ne s’est pas privée, d’abord lors du bref discours qu’elle a prononcé à son arrivée, ensuite à travers les airs qu’elle a choisis et, enfin, par le petit geste inattendu qu’elle a fait avant de quitter le ministère de la défense dans sa grosse Audi noire. Appel à regarder l’avenir Le discours, d’abord. En sept minutes, montre en main, la chancelière n’a guère eu le temps de revenir en détail sur les seize années « riches en événements et souvent très éprouvantes » qu’elle a passées au pouvoir. « Ces seize années m’ont demandé beaucoup d’efforts sur le plan politique et humain, et en même temps elles m’ont comblée », atelle déclaré, avant d’évoquer plus précisément les deux dernières, dominées par la pandémie de Covid19, dont la quatrième vague est particulièrement violente en Allemagne. Rappelant qu’elle venait, en dé but d’aprèsmidi, de présider une nouvelle réunion avec les chefs des Länder pour décider de nouvelles restrictions, Angela Merkel a profité de l’occasion pour tirer une leçon politique de la crise sanitaire : « Cette pandémie a montré l’importance de la confiance dans la politique et dans la science, mais aussi la fragilité de cette confiance. (…) Notre démocratie vit de la capacité à débattre, à corriger ses erreurs. (…) Elle vit de la solidarité et de la confiance, en particulier de la confiance dans les faits, et de la contradiction qu’il convient d’apporter haut et fort quand les connaissances scientifiques sont niées, que les théories du complot sont propagées et que les discours de haine prolifèrent. » Appelant à regarder l’avenir sans « dépit, ressentiment [ni] pessimisme », la chancelière s’est ensuite adressée à son successeur, Olaf Scholz, qui assistait à la cérémonie au milieu d’environ 200 invités, parmi lesquels figuraient notamment le président fédéral, FrankWalter Steinmeier, les plus proches collaborateurs d’Angela Merkel et la plupart de ses anciens ministres, à l’exception de quelquesuns, comme Wolfgang Schäuble. « Il appartient désormais au prochain gouvernement de trouver des réponses aux défis qui nous attendent et de façonner notre avenir. Pour cela, je vous souhaite, cher Olaf Scholz, ainsi qu’au gouvernement fédéral que vous allez diriger, tout le plus grand succès », a lancé la chancelière à son successeur, avec qui elle a souvent affiché sa proximité, ces dernières semaines, pour donner le sentiment d’une transition apaisée : à la fin d’octobre, en le conviant à ses rendezvous bilatéraux avec les présidents américain et turc, Joe Biden et Recep Tayyip Erdogan, en marge du G20 de Rome ; le 23 novembre, en l’invitant avec les principaux dirigeants de sa future coalition « feu tricolore » pour discuter de la crise sanitaire ; ou encore le 30 novembre, en se faisant photographier à son côté avec le général Carsten Breuer, chargé de piloter la cellule de crise créée au sein de la chancellerie pour coordonner la lutte contre le Covid19. Après ce bref discours, les morceaux de musique choisis par Angela Merkel, jeudi, avaient eux aussi quelque chose de testamentaire. Si personne n’a vraiment été étonné que la fille de pasteur fasse jouer le cantique Grosser Gott, wir loben dich (« Dieu, notre Dieu, nous te louons »), beaucoup, en revanche, ont été surpris d’entendre Du hast den Farbfilm Vergessen (« Tu as oublié le film en couleur »), de Nina Hagen. Un morceau qu’elle a écouté les yeux rougis par des larmes dont il était difficile de dire si elles étaient provoquées par l’émotion ou par le vent glacial qui soufflait à Berlin ce jeudi soir. Interrogée, quelques heures plus tôt, sur le choix de ce tube créé en 1974 en République démocratique allemande (RDA), la chancelière a répondu : « Cette chanson a été un moment fort de ma jeunesse. (…) Elle vient également d’Allemagne de l’Est et il se trouve qu’on la passe encore dans la région où se trouve mon ancienne circonscription [au bord de la mer Baltique]. Tout cela s’accorde aujourd’hui » , atelle expliqué, en parfaite continuité avec plusieurs de ses derniers discours, dans lesquels elle a souvent fait référence à sa jeunesse passée derrière le rideau de fer, ce qui était rarement le cas auparavant. Prise de liberté avec le protocole Après ces deux choix musicaux aux résonances très intimes, auxquels s’est ajoutée une ballade de 1968, Für mich soll’s rote Rosen regnen (« Il devrait pleuvoir des roses rouges pour moi »), de la chanteuse allemande Hildegard Knef (19251982), la cérémonie, d’une durée totale de trois quarts d’heure, aurait pu s’achever sans la moindre surprise. A la dernière minute, cependant, Angela Merkel a pris une liberté avec le protocole. Tandis que ses invités l’applaudissaient, la chancelière a pioché une fleur dans l’un des gros bouquets de roses rouges qui se trouvaient au pied de la tribune. Puis elle s’est dirigée vers sa voiture, avant de rebrousser chemin pour se saisir d’une autre rose, qu’elle est allée offrir à sa ministre de la défense, Annegret KrampKarrenbauer. Cellelà même à qui elle avait cédé la présidence de l’Union chrétiennedémocrate (CDU), en décembre 2018, dans l’espoir qu’elle lui succède, trois ans plus tard, à la tête du gouvernement fédéral. Finalement, l’histoire s’est écrite autrement : à défaut de lui confier les clés de la chancellerie, c’est une simple rose qu’Angela Merkel a laissée à son ancienne dauphine. thomas wieder